Un territoire à taille humaine, des défis numériques à relever

Rien n’est plus paisible que le clocher d’un village haut-marnais surgissant derrière les champs de colza. Mais sous cette apparente tranquillité, les petites communes du département s'activent pour répondre à un défi silencieux et majeur : garantir à tous, où qu’ils vivent, un accès équitable aux services numériques. Avec 427 communes (la plupart de moins de 500 habitants selon l’INSEE) et une densité de population parmi les plus faibles de France, la Haute-Marne pourrait sembler en marge des grandes dynamiques d’innovation. Pourtant, une multitude de projets numériques irriguent ce maillage rural. Ils paraissent modestes ; ils sont pourtant essentiels pour rapprocher habitants, agents et institutions, et inventer le quotidien rural de demain.

Alors, quels services numériques sont à l’œuvre aujourd’hui dans nos villages et petites villes haut-marnaises ? Comment sont-ils déployés et soutenus ? Voici un panorama nuancé, entre réalité des usages, initiatives innovantes, et petits obstacles du quotidien.

Démarches administratives en ligne : la Haute-Marne n’est pas une oubliée

C’est le premier domaine où le numérique s’immisce au cœur de chaque mairie : simplifier et fluidifier les démarches administratives. Pour les certificats d’urbanisme, la demande de carte d’identité, ou l’inscription à la cantine scolaire, les guichets physiques laissent place à la dématérialisation.

  • La plateforme « FranceConnect» a trouvé sa place jusque dans les plus petites communes haut-marnaises. Selon la préfecture de la Haute-Marne, plus de 220 communes utilisent les fonctionnalités essentielles de cette identité numérique pour permettre aux habitants d’accéder à leurs démarches à distance (état civil, impôts, urbanisme).
  • Le portail « Ma Mairie en Ligne» (solution utilisée par plusieurs intercommunalités haut-marnaises) permet de prendre rendez-vous, transmettre des documents, ou faire des signalements en ligne. C’est le cas par exemple à Nogent, Joinville, ou Chevillon.
  • Pour les associations et les élus, l’Espace Numérique Sécurisé de l’Agent Public (ENSAP) est de plus en plus utilisé pour tout ce qui concerne la paie, la retraite ou les formations.

Un chiffre traduit la transition : en 2022, selon le Conseil Départemental, 67 % des communes haut-marnaises de moins de 1 000 habitants proposent au moins une démarche administrative totalement dématérialisée.C’est moins qu’en milieu urbain, mais la progression est constante (- 45 % seulement en 2018, source Département). La crise sanitaire a agi comme accélérateur : certaines communes n’avaient jamais envoyé autant de mails officiels que lors des confinements.

La fibre, le socle de tous les autres services

Sur le front du numérique, il n’y a pas de service local sans infrastructures solides. La Haute-Marne s’est longtemps débattue avec la “fracture numérique” : lenteur de l’ADSL, absence de 4G, zones d’ombre à Internet. Depuis 2016, le projet de déploiement de la fibre optique a changé la donne. Le Réseau d’Initiative Publique (RIP) Losange — piloté au niveau régional — vise à couvrir 100 % du territoire d’ici fin 2024. En Haute-Marne, à l’aube de 2024, 85 % des foyers sont éligibles à la fibre, y compris dans des villages de moins de 100 habitants comme Saint-Urbain ou Breuvannes-en-Bassigny (source Losange).

  • Plus de 82 000 prises raccordées sur tout le département au printemps 2024.
  • Les collectivités locales en première ligne : conseils municipaux, Communautés de communes, syndicats mixtes (Haute-Marne Numérique) pilotent le suivi et l’information, parfois jusqu’à organiser des permanences pour accompagner les habitants lors du raccordement.À Illoud, par exemple, une salle communale a été transformée pendant dix jours en mini-salon du numérique où chacun pouvait poser ses questions (témoignage recueilli en avril 2023).
  • Le raccordement ne résout pas tout : encore 20 à 30 % des habitants, dans les communes les plus isolées (Bourmont, Rosoy-sur-Amance…) sont encore en attente, ou confrontés à des délais techniques (permis de voirie, autorisations foncières).

Mais cette nouvelle colonne vertébrale numérique métamorphose déjà les usages : téléconsultations, télétravail, enseignement à distance, services à la personne… tous ces services émergent peu à peu dans les villages.

Points d’accès publics, tiers-lieux numériques : réinventer les espaces partagés

Toutes les familles ne sont pas équipées. Pour lutter contre l’isolement numérique, des lieux d’accueil gratuits ou semi-gratuits se multiplient en Haute-Marne, particulièrement dans les communes de moins de 2 000 habitants.

  • Espaces France Services : 22 sites ouverts en 2024, conformément à la volonté du gouvernement de couvrir la quasi-totalité du territoire. Ces guichets uniques offrent accompagnement aux démarches, accès Internet gratuit, impression de documents officiels, et formations de base (source Agence nationale de la cohésion des territoires).
  • Médiathèques et bibliothèques rurales : bien plus qu’un rayon livres, elles accueillent souvent ordinateurs en libre-service, ateliers numériques, et conseillers. À Bourbonne-les-Bains ou à Saint-Dizier (quartiers périphériques), on s’y forme à la prise en main de la tablette, à la recherche d’emploi en ligne, ou à des initiatives originales comme la création de podcasts citoyens.
  • Tiers-lieux ruraux : structures hybrides mêlant coworking, ateliers, et culture, ils fleurissent à Wassy, à la Maison de la Nature de Frampas, ou à la Station de Montier-en-Der. Ouverts aux indépendants, auto-entrepreneurs, artisans, ils comblent aussi les besoins des jeunes et des séniors en formation.

Une petite anecdote : à Arc-en-Barrois, la salle de la mairie se transforme deux après-midis par semaine en espace de connexion et d’entraide. Les habitants y partagent astuces sur la CAF en ligne ou apprennent ensemble à télécharger un justificatif. Cet esprit d’entraide, bien visible lors des ateliers “Numérique et Séniors” organisés à Joinville, est souvent le carburant essentiel de ces lieux.

Accompagner les plus fragiles : médiation, formation, accès aidé

Le développement de services ne suffit pas : dans une population où 35 % ont plus de 60 ans (source INSEE), et où l’illectronisme touche jusqu’à 20 % des adultes selon les études régionales (source Région Grand Est), l’accompagnement reste décisif.

  • Des conseillers numériques itinérants opèrent dans de nombreuses intercommunalités (code postal 52). Le Département finance encore jusqu’en 2024 des postes de “médiateurs” qui vont de mairie en mairie former, rassurer, expliquer : protéger ses données, remplir une demande en ligne, éviter les arnaques.
  • Des ateliers de formation, portés par des associations ou par Pôle Emploi, accueillent gratuitement toutes les générations. À Langres, le centre social anime tous les mois un atelier « Ma première boîte mail », tandis qu’à Châteauvillain, un club senior lance chaque rentrée des sessions thématiques. Chez certains, ce sont les écoliers qui “coachent” leurs aînés au numérique sur un mode intergénérationnel !
  • Le dispositif Pass Numérique (PAC Numérique Grand Est) permet à certains habitants de disposer de “chèques” de 10 heures de formation gratuites auprès de partenaires agréés. Instrument discret, mais d’un grand secours à Bologne ou Longeaux où les demandes connaissent un pic depuis la crise sanitaire de 2020.

À l’échelle communale : des outils sur-mesure et des usages quotidiens

Les petites communes innovent aussi dans la gestion quotidienne grâce à des solutions simples et agiles. Certaines initiatives, largement adoptées ou expérimentales, ont changé la donne.

  • Des applications mobiles citoyennes : à Doulaincourt-Saucourt et Rolampont, des applis servent à signaler un problème de voirie ou à recevoir les alertes de la mairie (alertes météo, coupures d’eau…).
  • Des plateformes collaboratives pour élus : partage de documents, convocations aux conseils municipaux, gestion des salles ou diffusion de procès-verbaux. Ces outils diminuent le recours aux impressions papier et accélèrent la prise de décision.
  • Lieux de télétravail mutualisé: les communes du Nord-Est, proches de la Marne, installent des espaces connectés dans des bâtiments municipaux, utilisés une à deux journées par semaine par des agents publics ou des indépendants dont le domicile est trop isolé.
  • L’émergence de cartographies collaboratives portées par les habitants : signalement des sentiers balisés, des zones de biodiversité, ou du patrimoine caché, via OpenStreetMap ou des applis partenaires soutenues par le Parc national de forêts.

Est-on à l’aube d’une “smart ruralité” à la française ? Si le terme est ambitieux, ces démarches montrent que la Haute-Marne avance, en tissant un numérique à la fois tendre et pragmatique, à la mesure des fragilités et des forces de ses villages.

Numérique et vie quotidienne : une révolution douce en marche

Sous l’apparente simplicité de la vie haut-marnaise, le numérique trace sa route discrète entre les ruelles et les places, connectant des habitants autrefois éloignés des grandes institutions. S’il reste des obstacles : couverture mobile inégale (présente surtout autour de Saint-Dizier, Langres et Chaumont, mais plus rare en périphérie selon l’Arcep), coût du matériel, culture numérique parfois intimidante – les progrès sont notables.

À Verdun-sur-le-Doubs, un chef d’entreprise raconte comment il gère à distance son activité artisanale grâce à la fibre, sans quitter son village d’enfance. À Laferte-sur-Amance, une ancienne institutrice anime des ateliers pour “démystifier le smartphone” chez les séniors. La Haute-Marne, comme d’autres territoires ruraux, prouve que la transition numérique n’est pas réservée aux grandes villes. Elle se fait, pas à pas, sur les chemins bocagers de nos communes.

Les années à venir montreront comment la mayonnaise prend. Les habitants restent au cœur de l’invention d’un numérique de proximité, utile, accueillant, à visage humain. Parce que le défi n’est pas seulement d’avoir les outils, mais de les partager au fil du quotidien, et de faire rimer “territoire” et “connexion”. Pour une Haute-Marne qui avance, sans rien perdre de sa douceur de vivre.

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