Un territoire à l’épreuve du temps médical

La Haute-Marne, département discret de la région Grand Est, partage avec de nombreux territoires ruraux une histoire étroitement liée à ses médecins, ses infirmiers et ses pharmaciens. Mais la carte médicale d’autrefois ne ressemble plus à celle d’aujourd’hui. La densité médicale s’étiole, les bâtiments hospitaliers vieillissent, les attentes de la population évoluent. Pourtant, au-delà des constats parfois décourageants, les villages, bourgs et petites villes inventent, adaptent et expérimentent de nouvelles manières de soigner.

En Haute-Marne, la densité de médecins généralistes est d’environ 69 pour 100 000 habitants, contre 94 en moyenne au niveau national (DREES, 2023). Ici, les zones dites de « désertification médicale » couvrent près de la moitié des communes, selon l’Agence Régionale de Santé Grand Est (2022). Mais derrière la statistique, il y a surtout des vies, des trajets, des attentes, et un tissu local qui ne se résigne pas.

Les maisons de santé pluriprofessionnelles : une réponse locale

Difficile d’évoquer l’évolution de l’offre de soins sans parler des maisons de santé. Plusieurs sont nées en Haute-Marne depuis une quinzaine d’années : à Bourbonne-les-Bains, à Châteauvillain, à Joinville, elles sont devenues des points d’ancrage pour des médecins qui, parfois, n’auraient pas franchi le pas de l’installation en libéral.

  • Une équipe variée : la force de la maison de santé, c’est l’alliance de médecins, infirmiers, kinésithérapeutes, souvent rejoints par psychologues ou pharmaciens.
  • Des horaires élargis : plusieurs structures proposent des créneaux aménagés pour s’adapter à la vie de ceux qui travaillent loin.
  • Un atout pour l’attractivité : à Chaumont, la maison de santé du quartier du Cavalier a contribué à stabiliser la présence de jeunes médecins depuis 2018.

Pour les patients, ce sont parfois quelques kilomètres gagnés, mais aussi la possibilité d’une prise en charge mieux coordonnée. Pour les soignants, l’appui d’une équipe, loin de la solitude du cabinet unique des décennies passées.

Des chiffres révélateurs : vieillissement et éloignement

Avec 27 % de la population ayant plus de 60 ans (INSEE, 2020), la Haute-Marne figure parmi les départements les plus âgés de la région. Cette réalité aiguise la question de l’accès aux soins.

  • Temps d’accès au médecin généraliste : Selon l’Observatoire régional de santé, 45 % des habitants mettent plus de 15 minutes en voiture pour consulter un médecin généraliste (ORS Grand Est, 2023).
  • Dentistes et spécialistes : La densité de chirurgiens-dentistes (29 pour 100 000 hab.) est l’une des plus faibles du Grand Est, et nombre d’enfants effectuent leurs suivis à Saint-Dizier, voire Bar-le-Duc, dépassant les frontières départementales.

Ce décalage, palpable dans beaucoup de villages, suscite des inquiétudes. On parle parfois entre voisins des délais d’attente pour un rendez-vous chez un ophtalmologue pouvant dépasser 12 mois à Chaumont ou Saint-Dizier. À l’échelle municipale, la gestion de cette pénurie est un casse-tête quotidien pour les élus.

Quand la télémédecine rapproche les soignants

Depuis 2019, la télémédecine prend timidement sa place en Haute-Marne. Elle s’installe surtout dans les Ehpad d’Andelot ou de Nogent, où elle a permis d’éviter certains transferts en urgence vers des CHU éloignés. Depuis 2020, la Maison de santé de Montier-en-Der a installé une cabine de téléconsultation : un infirmier y accompagne les patients les plus âgés lors de rencontres vidéo avec un médecin de Nancy ou de Dijon.

  • Des gains de temps précieux : surtout l’hiver, lorsque les routes sont verglacées et que chaque déplacement peut être source d’angoisse.
  • Un atout en gériatrie : effectué avec un professionnel présent, le diagnostic à distance évite parfois une hospitalisation.

Cependant, la fracture numérique rend la télémédecine encore inégale : 11 % des foyers haut-marnais n’ont pas un accès satisfaisant à Internet (Département Haute-Marne, 2022). Les initiatives se multiplient pour proposer des lieux connectés en mairie ou dans des espaces publics.

Fermetures, mobilisations locales et hospitalité des petites villes

L’annonce du transfert du service cardiologie de l’hôpital de Langres à Chaumont en 2021 a soulevé une vague d’indignation. Un cortège de 800 personnes – fait rare dans le sud du département – a manifesté sous la pluie de février, rappelant que l’accès au plateau technique n’est pas seulement une question de logistique, mais aussi d’attachement à un droit fondamental. (source : France 3 Grand Est)

Les fermetures de maternités, comme à Chaumont en 2019, illustrent le paradoxe haut-marnais : pour garantir sécurité et qualité, les pouvoirs publics regroupent, mais en éloignant parfois dangereusement le soin. On raconte à Nogent qu’il faut aujourd’hui prévoir son accouchement comme un voyage, parfois d’hiver : valise, voiture, téléphone chargé « au cas où ».

  • À noter : 60 % des femmes enceintes de Haute-Marne accouchent désormais à Saint-Dizier (INSEE, 2020).

En contrepoint, certaines petites communes comme Bourdons-sur-Rognon ou Bayard-sur-Marne bénéficient encore du passage régulier de médecins itinérants, souvent venus de l’Aube ou de Meuse. La fidélité de ces professionnels, parfois retraités actifs, est précieuse pour ces territoires.

Initiatives et créativité des acteurs locaux

La force de la Haute-Marne, c’est aussi son réseau de petites solidarités. Initiatives municipales, associations ou collectifs de patients jouent souvent un rôle tamisé mais décisif :

  • Les bus santé : Une fois par mois, un bus médicalisé sillonne les routes du sud Haut-Marnais pour des dépistages gratuits de l’hypertension ou du diabète. La tournée fait étape à Fayl-Billot, Bourmont ou Poissons
  • Cabanes de téléconsultation en pharmacie : Plusieurs officines ont ouvert des espaces privés, où les patients sont accompagnés pour des actes simples. Cela limite l’engorgement des cabinets et rassure les personnes isolées.
  • Mobilisation citoyenne : À Saint-Blin, une association de patients s’est mobilisée en 2023 pour interpeller l’ARS sur la situation locale, récoltant plus de 700 signatures en deux semaines pour réclamer l’installation d’un nouveau praticien.

À côté des “grandes” structures, la créativité part souvent de situations concrètes : la voiture que l’on partage entre voisins pour se rendre à un rendez-vous à Joinville, ou le carnet-relais qui permet de mutualiser les informations sur les permanences.

Attirer, installer, fidéliser : des leviers d’avenir

Le recrutement médical est une question à la croisée de tous les enjeux : logement, scolarité, qualité de vie, offre de soins. Les collectivités haut-marnaises ont pris conscience de la nécessité de rendre leur territoire attractif : logements rénovés à loyer modéré pour les internes (projet porté à Wassy), incitations financières, accompagnement à l’installation. La Communauté d’agglomération de Saint-Dizier, Der & Blaise, par exemple, a mis en place, en 2021, une aide de 9 000 € pour l’installation des médecins généralistes et des permanences dédiées à la découverte du territoire.

  • Les stages d’internat en milieu rural : Les CH de Chaumont et Langres accueillent chaque année une dizaine d’internes, certains découvrant ainsi, parfois pour la première fois, la beauté tranquille du paysage haut-marnais.
  • La promotion active en école de médecine : les élus visitent les facultés de médecine de Nancy, Dijon ou Reims pour convaincre les futurs médecins de venir s’installer, présentant la Haute-Marne par ce qu’elle a de plus fort : proximité, simplicité, solidarité.
  • L’accueil du conjoint : Plus souvent qu’on ne le pense, l’accueil professionnel du conjoint (offres d’emploi, visites d’entreprise) fait la différence dans la décision d’installation.

Des défis persistants, un optimisme patient

L’offre de soins en Haute-Marne se redessine entre contraintes et innovations. Le vieillissement des professionnels (près de 43 % des médecins ont plus de 55 ans, DREES, 2023) laisse planer des incertitudes sur la relève. Mais la vitalité associative, l’inventivité des élus et l’attachement des habitants à leur territoire déclenchent des initiatives tangibles.

Loin des clichés sur la désertification, la Haute-Marne bouscule, invente, tisse de nouveaux liens. Les solutions viendront sans doute, comme souvent ici, d’un mélange d’inventivité locale, de solidarité discrète et du courage humble de celles et ceux qui soignent – au fil des campagnes, au fil de la Haute-Marne.

En savoir plus à ce sujet :

Archives